D'Arles à Puente la Reina, 900 km
Les jacquets méditerranéens ne connaîtront pas le changement de climat. Leur déplacement se fait de l’Est vers l’Ouest et non du Nord vers le Sud comme pour les autres. Du coup, la chaleur et la sécheresse resteront leurs lots quotidiens et ne les changeront pas du privilège climatique de leur région natale.
D’Arles à Puente la Reina, la Via Tolosana, qui supporte le piétinement des provençaux, rallie l’Espagne en 900 km. Il faudra en ajouter quelques-uns pour atteindre Saint-Jacques (à 1 588 km d’Arles). Pas mal quand même. L’itinéraire est long mais entièrement balisé (GR 653, voir balisage), ce qui conviendra aux peaux les plus fines et les plus irritables. Jadis la plus fréquentée, la route suit les tracés des voies romaines ralliant les Pyrénées aux Alpes. Elle est propice aux rencontres, dans la mesure où les croisés en route vers le Vatican ou vers Jérusalem venant d’Espagne y croiseront les jacquets alpins. Pour ceux-ci, un petit éclairage sur la Via Tolosana s’impose.
1/ Arles : c’est là que tout commence
Eglise Saint-Trophime d'Arles Les Italiens, les Suisses et les peuples de l’Est y affluent pour entamer leurs pèlerinages de Compostelle. Il s’agit d’Arles, point de départ officiel du quatrième chemin historique. Il faut dire que la présence des corps de trois saints (Saint-Honorat, Saint-Blaise et Saint-Césaire), qui nécessitent autant d’églises et de tombeaux, prédispose la ville de Van Gogh à jouer ce rôle. Les sacs à dos s’accumulent devant l’église Saint-Trophime, les bâtons pourraient servir à un mikado géant et les chaussures se lassent. Les pèlerins idolâtrent les reliques sacrées plongées dans les cryptes des sanctuaires avant de prendre la route vers la dépouille de Saint-Jacques. J = 0.
La Camargue, ses marais peuplés de flamands rose, ses Guardians parcourant les étendues marécageuses sur le dos de leurs petits chevaux blancs. C’est le paysage qui s’offrira aux marcheurs au début de leur voyage. Ils passeront d’abord par St-Gilles du Gard et par Montpellier avant de parvenir à Saint-Guilhem-le-Désert, dans la vallée de l’Héraut.
2/ Saint-Guilhem-le-désert : l’éclat de la pierre
Le décor est splendide : des gorges rocailleuses façonnées par la nature et encadrant le bourg médiéval qui a conservé ses petites ruelles et ses maisons imbriquées les unes sur les autres, auréolées de leurs tuiles patinées par le soleil. Hélas, beaucoup de touristes viennent perturber le calme languedocien pendant l’été.
Abbaye de Gellone, St-Guilhem-le-désert Une des raisons de cet afflux : une abbaye romane, l’abbaye de Gellone. Fondée par Guillaume (début IXe siècle), duc d’Aquitaine et compagnon de Charlemagne, l’édifice a perdu son cloître, démantelé à la révolution et dès lors dépouillé de ses sculptures. Aujourd’hui, il faut aller jusqu’à New York, au musée des cloîtres, pour retrouver les ornements de la belle française. Mais même sans le cloître, l’abbaye reste superbe et forte d’une sobriété qui s’accommode tout à fait au dénuement des rocailles qui l’entourent.
La pâleur de la pierre est rehaussée par les touches verdâtres de la végétation qui a réussi à s’hydrater dans cet univers de sécheresse. Saint-Guilhem n’est pas dite désertique pour rien. Le rose succédera au beige de la pierre puisque la prochaine étape a pour surnom « ville rose ». Il s’agit de Toulouse, la grande étape de la route qui lui doit son nom.
3/ Toulouse : « la ville rose »
Alors que vous étiez accaparé par la campagne paisible et le ruissellement du canal du Midi que vous longiez, vous entrez peu à peu dans des faubourgs puis dans une ville. Là, beaucoup de briques et de tuiles.
La basilique St-Sernin à Toulouse C’est pour cela que la ville est dite rose. L’accumulation de cette argile cuite donne à la ville une couleur douce qui s’enhardit en virant vers le rouge sous l’impulsion d’une lumière déclinante.
Même la basilique Saint-Sernin n’a pas échappé à la brique, pourtant matériau du pauvre comparativement à la pierre. Son clocher orthogonal lui donne une drôle de figure mais n’en amoindri pas son prestige. Le sanctuaire (XIe siècle) a été édifié pour accueillir des reliques et c’est donc sans étonnement que l’on retrouve le tombeau du martyr qui a donné son nom à l’église : Saint-Sernin.
étonnante, la présence d’un autre corps de Saint-Jacques. L’original ne se trouve-t-il pas à Compostelle ? Ou peut-être que les premiers siècles de notre Histoire connaissait déjà le clonage ! Quoiqu’il en soit, cette présence massive de restes sacrés fait de Toulouse le plus haut lieu de pèlerinage du Midi au Moyen-âge et offre encore aujourd’hui une grande renommée de dimension européenne à la basilique. Le recueillement s’impose donc dans cette grande étape de la Via Tolosana avant de reprendre du service et de rechausser les chaussures de randonnées.
Elles seront nécessaires pour parcourir les champs moissonnés de Gascogne et entrer dans le Béarn. Les collines boisées sont un ultime réconfort avant la rudesse des montagnes pyrénéennes. Profitez donc des vignobles du Jurançon et de leurs alignements rigoureux avant de pénétrer dans l’univers capricieux de la haute-montagne. Oloron-Sainte-Marie, ultime étape française avant les Pyrénées et l’entrée en Espagne en donne un avant-goût.
Hôtel-Dieu St-Jacques, Toulouse 4/ Oloron-Sainte-Marie : capitale du haut Béarn
Dans cette ancienne cité épiscopale qui étaient dirigée par les évêques jusqu’à la Révolution et qui a été un royaume de foires et de marchés dans sa jeunesse, la technologie s’est immiscée jusqu’à s’intégrer dans le mobilier urbain. Onze bornes interactives situées à proximité des sites remarquables de la ville permettent aux visiteurs munis de bracelets montres de découvrir de manière insolite et ludique, à son rythme et en toute liberté, les hauts-lieux de ce petit village au riche passé. Le guide électronique n’oubliera certainement pas d’évoquer la cathédrale Sainte-Marie, l’un des principaux monuments de la ville.
Comme la plupart des églises qui ont fleuries sur les chemins de St-Jacques, elle a été construite pour accueillir le trésor du vicomte Gaston IV qui ne s’est pas privé de ramener de ses croisades et de la Reconquista quelques précieux souvenirs de sa lutte. Le portail roman de la cathédrale a été sculpté par deux artistes du XIIe siècle et s’intègre au reste gothique de l’édifice dont la tour clocher et les deux tours carrées rappellent les principes.
À l’intérieur, certains thèmes évangéliques comme l’histoire de Daniel et de la fosse aux lions sont gravés dans la pierre des chapiteaux. Les autres blocs calcaires de la nef ou du déambulatoire sont décorés de visages humains, de têtes de monstres et autres motifs du même genre.
Aniane et son pont du Diable (Hérault, 34) Ce sont ces images que vous aurez en tête lors de l’escalade qui ne va pas tarder à vous éreinter : 1 632 m de dénivelés seront nécessaires pour atteindre le col frontière de Somport, « le plus haut passage » des Pyrénées. Mais il faut cela pour atteindre l’Espagne et rejoindre Saint-Jacques. Vous n’avez quand même pas fait la moitié du chemin pour repartir bredouille. À ce stade, mieux vaut continuer à avancer ; la distance étant la même devant que derrière (environ 858 km), autant aller de l’avant. Le col de Somport a connu son heure de gloire mais est aujourd’hui délaissé par les jacquets. Seule la via Tolosana continue à l’emprunter.
Les trois autres itinéraires historiques lui préfèrent désormais le col de Roncevaux, plus sécurisé et moins hostile. Un peu de courage sera donc nécessaire aux méditerranéens.
Une fois en Espagne, que se passe-t-il ? Dans la péninsule ibérique, les jacquets français se retrouvent tous au point de convergence formé par Puente la Reina pour parcourir ensemble la dernière portion du trajet : el Caminó Francés (chemin français). Quelque soit le chemin que l’on a emprunté, à partir de maintenant, tout le monde sera au même régime. Les quatre chemins historiques se muent en une voie unique qui propose le pire comme le meilleur, à savoir des bains de foules alternant avec des instants plus intimes, perdu au milieu d’une nature sauvage ou béat devant les plus beaux bijoux du patrimoine.
Sophie Graffin
Publié le 26/05/2010
Crédits photos : © ACIR/S.VAISSIERE ; © ACIR/JP SALMON