Interview de Julie Andrieu
A 35 ans, Julie Andrieu s'est fait un nom comme critique gastronomique. Voilà plus de dix ans qu'elle écrit des livres de recettes et cuisine devant les caméras. Dans son émission Fourchette et Sac à Dos sur France 5, elle parcourt le monde en quête de nouvelles saveurs. Ses aventures culinaires sont ponctuées de rencontres, de balades et de surprises : des ingrédients de choix pour un vrai moment de bonheur, en toute simplicité, sur le petit écran.
Après s’être beaucoup cherchée, Julie Andrieu s’est trouvée. En cuisine. Et sur la route. Pour associer ces deux passions, elle s’est concoctée une formule sur mesure : Fourchette et Sac à dos. Pour e-Voyageur, la présentatrice revient sur les débuts de l’émission et ses souvenirs de voyage les plus marquants et nous parle de sa radiophilie et de la mélasse de Grenade.
Quand et comment avez-vous découvert votre passion pour la cuisine ?
Vers 22 ans. J’ai commencé par être photographe mais j’ai abandonné ce métier car je me suis rendue compte que je le faisais pour de mauvaises raisons : je voulais être reporter, Henri Cartier-Bresson ou « rien ». Et comme j’avais plus de chances d’être « rien », j’ai arrêté et je me suis un peu cherchée, ou plutôt perdue… dans l’immobilier. L’ennui a rapidement gagné du terrain. Je rentrais de plus en plus tôt à la maison et j’ai alors commencé à faire de la cuisine comme on s‘essaye au piano, au tennis ou au jardinage. Ce qui devait être une distraction est vite devenue une passion, qui correspondait à ce dont j’avais besoin à l’époque : créativité, expression, et lien social avec l’extérieur. La cuisine me permettait de réunir mes amis pour leur faire goûter mes plats. Je trouvais leur surprise et leur enthousiasme réjouissant et valorisant à la fois.
Je n’imaginais pas une seconde en faire un métier : pour moi, soit on était chef, soit on était boucher-charcutier, mais il n’y avait pas d’autres voies. Puis finalement, la voie, je l’ai creusée toute seule sans m’en rendre compte, aidée de Claude Lebey, un éditeur à la tête d’un guide gastronomique prestigieux. Il m’a proposé de travailler à ses côtés et j’ai donc commencé à faire de la critique gastronomique. Parallèlement, il m’a proposé de faire un livre. La condition était de l’écrire avec mes mots, en faisant l’impasse sur la terminologie des chefs. L a Cuisine de Julie, était née : un best seller qui propose une cuisine quotidienne, urbaine, ouverte sur le monde, avec une touche de légèreté et de fantaisie accessible aux profanes.
Du coup, j’ai très vite proposé une émission de cuisine sur Téva. Il y a eu beaucoup de concordance, beaucoup de chance aussi, et l’émission a existé pendant près de 5 ans. Pendant ce temps , j’ai continué à exercer ce métier en écrivant des livres, en collaborant à des magazines et en créant une société de conseil. Petit à petit, les choses se sont déterminées d’elles même, je me suis associée pour faire de la production et j’ai commencé à produire mes émissions.
Dans Fourchette et Sac à Dos, vous parcourez le monde à la recherche de recettes de cuisine régionales. Le e voyage a-t-il toujours été, pour vous, une passion ? Est-il devenu une source d’inspiration ?
Le voyage a toujours été une passion. Je suis plutôt issue d’un milieu relativement favorisé donc on avait la chance de pouvoir aller assez régulièrement en vacances à l’étranger, mais ce n’était pas ce que j’appelle du voyage-découverte. J’ai passé mon Bac à 17 ans et je n’avais pas du tout envie de continuer les études. Et après m’être débarrassée de ça, la première chose que je voulais faire c’était partir en voyage seule pour vraiment découvrir autre chose. A 17 ans, je suis partie au Népal, et j’ai ensuite parcouru l’Inde et le Sri Lanka. J’y suis restée à peu près 3 mois. Le virus du voyage faisait désormais partie de moi.
Après je suis repartie presque tous les ans, à l’époque pour faire des photos ce qui est encore le cas aujourd’hui En 2009, je suis partie en Inde toute seule, pour 15 jours. D’abord parce que je suis toujours habituée à la solitude et que j’aime bien voyager comme ça, ensuite, je trouve qu’on voyage différemment seul, à deux ou en groupe. En solo, on est plus ouvert vers les autres, on est aussi plus dépendant . Le voyage a toujours été pour moi une source d’inspiration et ce, dans tous les domaines, pas seulement en cuisine. Mais on peut aussi voyager grâce à la cuisine sans bouger de chez de soi, et c’est ce que je trouve intéressant. En apprenant d’un plat et en allant acheter des produits exotiques, en France, on peut s’évader . C’est aussi ce que je prêche.
L’émission Fourchette et Sac à dos est un vrai conte de fée, comment a-t-il démarré ?
En fait, je voulais le faire depuis très longtemps. La première émission que j’ai proposé à Téva c’était ça : voyager à travers des plats, des recettes. A l’époque, je n’étais pas connue et la cuisine n’avait pas le vent en poupe donc ils m’ont dit qu’on verrait plus tard. Alors, je me suis un peu assise sur l’idée mais je n’en ai pas démordu. Puis, j’ai eu l’occasion de proposer ce concept personnel à un autre producteur pour Cuisine TV et on a fait 10 émissions ! Ca s’appelait Julie autour du monde. L’émission s’est ensuite arrêtée mais j’avais toujours ça en tête. Et puis, un jour, Christophe Dechavanne est venu me voir en me disant qu’il avait envie que l’on travaille ensemble et il m’a proposé une émission relativement traditionnelle. Je lui ai dit que je ne voyais pas vraiment qu’elle pourrait être ma valeur ajoutée dans ce type de projet mais qu’en revanche il y avait une chose que j’avais envie de faire, c’était cette idée de voyage au travers de la cuisine. Il a trouvé l’idée intéressante, on a alors retravaillé avec ses équipes et imaginé ce qui allait devenir Fourchette et Sac à dos .
Pérou, Cameroun, Japon, Polynésie, Andalousie. En 3 saisons vous avez voyagé à travers tous les continents, quels sont vos souvenirs les plus marquants ?
Il y a des souvenirs marquants à chaque voyage. On a fait une très très belle traversée de la Baie d’Along au Vietnam sur un bateau traditionnel en cuisinant ce qu’on trouvait au fur et à mesure de notre croisière. Au Pérou, On a fait un voyage magnifique où on s‘est retrouvé au sommet de l’Altiplano avec des Campesinos locaux qui n’avaient quasiment jamais vu un visage blanc. On a aussi vécu 2 jours dans le désert marocain en mangeant vraiment le produit de la terre. Il y a eu des grands moments d’émotions un peu partout. Mais ça passe toujours par l’homme, ça passe toujours par la rencontre. Il y a aussi eu des moments moins authentiques comme lorsqu’on s’est retrouvé au Cameroun, chez les soi-disant pygmées, qui entre nous et à cause de nous avaient été complètement spoliés, qui faisaient 1m80 et qui portaient des T-shirts Coca-Cola et recevaient des touristes pour faire de l’argent… Je ne leur reproche pas, mais du coup, la dimension humaine était largement moindre.
La gastronomie d’un pays en dit long sur sa culture. Que peut-on apprendre d’un pays à travers sa cuisine selon vous ?
Beaucoup de choses. Finalement la cuisine est révélatrice d’une grande partie de la culture populaire du pays, c'est-à-dire de l’histoire, d es flux migratoires, notamment. Par exemple, quand on va au Brésil, on s’aperçoit qu’il y a une grande partie de la cuisine qui est influencée par l’Afrique parce qu’au XVIIIe siècle, un grand nombre d’africains est venu par bateau pour construire ce dont avaient besoin les conquistadors. Et puis, on se rend compte qu’il y a aussi une influence asiatique importante. En fait, chaque strate de la culture culinaire, est reliée à un évènement majeur de l’histoire du pays et ça c’est très intéressant.
Et puis on apprend à connaître la terre, la géographie du pays. Grâce aux produits, on comprend un peu mieux pourquoi ils poussent à tel endroit et pas à tel autre, comment se déroule la culture, quelles sont les saisons, et quel est le climat. Quand on est allé au Pérou et qu’on se trouvait dans l’Altiplano, la seule chose qui poussait à cette altitude de 4500 mètres, c’était les patates, il n’y avait rien d’autre… 4500m La cuisine est en général révélatrice de beaucoup de choses d’une culture, de ce qui constitue l’essentiel d’un pays.
Vous êtes accueillie dans des familles locales pour chacune de vos aventures, quels rôles ces rencontres ont-elles jouées dans vos voyages ?
Elles sont essentielles. Pour moi c’est le but premier du voyage. Ce qui est beau c’est qu’on arrive chez des gens qui sont, en général, très impressionnés par les objectifs occidentaux, la caméra, tout ce que ça représente comme puissance. Dans la mesure où l’on s’intéresse à leur culture, à leur tradition, à leurs recettes, ça les mets dans une position qui est, je l’ espère, relativement valorisante . Il est certain que l’échange se crée plus facilement que si on venait simplement regarder comment ils vivent sans être aussi curieux et aussi dépendants. Parce qu’il n’y a pas d’émissions sans eux. C’est vrai qu’ils sont toujours surpris de penser que des gens comme nous allons nous intéresser à leurs traditions, aux plats de leur quotidien qu’ils doivent estimer, j’imagine, assez rustiques… C’est un très joli échange de ce point-de-vue là. Plutôt que d’arriver comme des conquérants, on arrive en demandeurs.
Sur place, êtes-vous prise en charge de A à Z ou existe -t-il une marge de liberté pour laisser la place aux imprévus qui font le charme du voyage?
Il y a toujours des imprévus, disons qu’ils ne sont pas volontaires mais ils sont tellement incompressibles. On sait qu’on va aller à tel endroit, on sait qu’a priori on s’attend à ce qu’on nous fasse tel plat mais en revanche ca se passe rarement comme il était prévu que ça se passe et on se laisse volontiers aller à ces imprévus. Il y a plein de séquences qui ratent, ce n’est pas forcément parce qu’elles sont décevantes, mais on est obligé d’établir une hiérarchie, de faire des choix. Il y a eu des moments où on a filmé tout en sachant qu’on ne garderait pas les prises, mais on ne pouvait pas, vis-à-vis des gens, revenir, les monopoliser et ne pas filmer. Il y a aussi des moments où c’est décevant mais c’est comme dans la vie, heureusement qu’on ne peut pas anticiper tous les paramètres.
Vous en avez appris des astuces et secrets de cuisine autour du monde, mais dans la vie quotidienne, comment cuisinez-vous ?
Dans la vie quotidienne, je cuisine tout le temps parce que c’est mon métier, que je le fais par plaisir évidemment. J’ai la chance de faire un métier que j’adore, qui, parfois, d’ailleurs, est un handicap parce que du coup je ne m’arrête jamais de travailler ! Mais je suis tout le temps dans la nécessité d’imaginer de nouveaux plats, je ne dirais pas « créer » car ce serait bien prétentieux à mon niveau mais de trouver des formules de recettes. En prenant des choses excitantes, en les re-cuisinant, les re-bidouillant, en mélangeant les traditions, en essayant de les rendre plus faciles, plus rapides, plus accessibles. C’est essentiellement ça. Je rentre dans le cocon qui me sert de cuisine, il y a un côté très protecteur dans la pièce de la cuisine, et le temps n’a plus de prise. D’ailleurs, je peux y passer des journées. La cuisine, c’est l’endroit où je suis le plus détendue. Je suis une grande radiophile donc je mets la radio, en général j’écoute France Inter ou France Culture en boucle. Je n’ai pas la télé, c’est assez paradoxal mais j’ai quand même un lien avec le monde mais qui est choisi, qui n’est pas imposé comme la télé nous l’impose parfois, je trouve, avec son langage et avec ses images. Je digresse.
Si vous deviez nous conseiller une destination gourmande, quelle serait-elle ?
D’un point de vue vraiment cuisine, il y a un pays qui est assez méconnu ou mal-jugé, en France, il me semble : c’est le Liban. Moi je suis une grande fan du Moyen Orient en général et pour sa cuisine aussi. Et je trouve que c’est une cuisine extrêmement fraîche, légère, contrairement à ce qu’on pense, créative. Le problème c’est que c’est toujours en abondance donc on est tenté d’en manger trop ! Mais c’est vraiment une cuisine, notamment sur le plan des légumes, des végétaux, qui est très variée. Donc ça, c’est à découvrir.
Ensuite évidemment, mais là je n’apprends rien à personne, le Japon, c’est prodigieux. Moi j’y suis allée quatre fois et à chaque fois j’ai découvert de nouvelles choses. Ce n’est pas tant au niveau des recettes, parce qu’il y en a beaucoup et qu’il est quasiment impossible de tout refaire, mais c’est davantage dans leur approche de la cuisine que c’est vraiment passionnant.
J’ai eu des surprises en Turquie car je suis très « végétale », je ne suis pas végétarienne mais je trouve qu’on peut être beaucoup plus créatif avec des végétaux qu’avec de la viande ou du poisson. Et là, je me suis vraiment réjouie de voir que, chez les Turcs, alors que je m’attendais à des plats assez basiques, on a goûté des choses absolument délicieuses. Mais comme souvent en dehors de la France, c’était largement meilleur chez les gens qu’au restaurant. Enfin, le Vietnam : délicieuse cuisine. Sans doute la plus légère de toutes les cuisines asiatiques. Ce ne sont pratiquement que des marinades, des brochettes, très peu de fritures et une cuisine très parfumée avec beaucoup d’herbes. Ca, c’était chouette !
Les escapades culinaires de Fourchette et Sac à dos reprennent en juillet 2010, quelles sont les destinations au menu ? Et, en dehors des tournages, avez-vous des projets de voyages ?
On repart effectivement cette année avec Fourchette et Sac à Dos : en Afrique du Sud, Norvège, au Liban et puis à New York. Vu le programme de cette année, je pense que ça devrait me suffire ! Aujourd’hui, quand je prends mes vacances, la première chose, c’est d’être dans ma maison de campagne en France, parce que je suis un peu saturée des voyages !
Une recommandation pour les e-Voyageurs ?
Il y a un aliment que j’adore, je reviens vers le Liban justement. C’est la mélasse de Grenade, qui est un aliment génial. C’est un produit fabuleux qu’on peut mettre dans les vinaigrettes, dans les sauces, pour déglacer les viandes, moi j’en mets même sur le saumon fumé ! C’est exceptionnel. C’est vraiment un produit à découvrir !
Le site de l’émission : www.france5.fr/fourchette-et-sac-a-dos
Propos recueillis par Alice Cannet
Publié le 03/02/2010
Crédits photos : © Coyote / France 5 / Stéphane Jobert / JA Productions / Yann L’Hénoret