Interview de Marc Alaux
Marc Alaux livre sur sa quête de « l’âme mongole » à travers son dernier livre "Sous les Yourtes de Mongolie, Avec les Fils de la Steppe".
(février 2009)
Marc Alaux, jeune archéologue de 33 ans, est un fin connaisseur et sympathisant du monde mongol, qu'il a déjà parcouru quatre fois depuis 2001 en solitaire, avec son ami d'enfance Laurent Barroo et sa compagne Stéphanie Neu. Son livre Sous les Yourtes de Mongolie avec les Fils de la Steppe retrace son voyage de Gobi, jusqu'au versant occidental du massif du Khentii, en passant par la frontière bouriate à Oulan-Bator... et ses rencontres avec les nomades des steppes mongoles. Il s’agit d’une civilisation de l’oralité, où l’on aime échanger, se rappeler, raconter et transmettre lors de veillées autour du poêle.Qu’avez-vous retenu de la Mongolie et de ses habitants au cours de vos voyages dans ce pays d’Asie ?
Les Mongols m’impressionnent par leur faculté d’adaptation. Le nomade, pour qui le lendemain n’est jamais assuré, survit s’il parvient à jongler avec une multitude de facteurs (sécheresses, changements météos et climatiques ou économiques…). L’adaptation – une nécessité pour lui – est restée une aptitude fabuleuse chez de nombreux citadins ou villageois. Aux yeux de ces gens, il n’est de stable que le changement. Effectivement, pour le pâtre nomade, l’équilibre entre le troupeau et le pâturage n’est trouvé que l’espace d’une année ou deux. D’où une ouverture d’esprit incroyable. Cette qualité m’enchante. Mais m’impressionne tout autant la simplicité avec laquelle ils nouent des relations. Ils échangent et communiquent si facilement, si naturellement avec un étranger. La simplicité avec laquelle ils sont venus vers moi et avec laquelle nous avons noué des liens m’a profondément marqué.
Vous êtes parisien et pourtant dans votre livre vous semblez avoir une certaine aversion pour les grandes villes. En parlant d’Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, vous évoquez la saleté des rues, le chômage et les enfants clochards. Une fois dans les steppes, la vie reprend ses droits. Vous êtes sous l’emprise de cette nature mongole, vous y errez « à demi hébété comme un baladin ivre de soleil ». Qu’est-ce que vous aimez tant dans ces steppes ? Les voyageurs qui séjournent quelques semaines en Mongolie reviennent avec le même jugement : fascination pour la steppe, aversion pour Oulan-Bator. Je partageai cette impression superficielle au début de mon premier séjour en Mongolie, en 2001, quand j’y séjournais 6 mois d’affilée. J’ai heureusement changé d’avis depuis. Maintenant, après plus d’un an et demi passé en Mongolie, j’aime profondément l’ambiance particulière des agglomérations mongoles, la chaleur humaine singulière qu’on y trouve, l’espace éclaté difficile à comprendre mais fascinant… Ces villes n’ont pas la beauté des capitales européennes mais ça n’enlève rien à leur intérêt et à leur rôle majeur dans le pays. Le patrimoine historique se découvre à celui qui y déambule à pied des jours durant. Ce fut mon cas pendant l’hiver 2003, où je consacrais un mois à arpenter tous les quartiers d’Oulan-Bator, de l’aube au crépuscule. Je foulais non seulement le quartier où se concentre l’élite riche du pays (un carré de deux kilomètres de côté) mais aussi des zones pauvres, où des gens survivent avec peine.
Après une expérience aussi marquante, ne pas mentionner la masse de gens diplômés ou talentueux sans emploi, le prosélytisme des missionnaires étrangers, le fossé qui se creuse entre riches et pauvres, le fait qu’Oulan-Bator réunit un quart de la population du pays ou encore qu’un mongol sur trois vit sous le seuil de pauvreté serait un crime. Mais attention ! Encore une fois, cela n’ôte rien à l’attrait ni à l’intérêt du pays. Évoquer la pauvreté d’un pays ne revient pas à le dénigrer, ni lui, ni sa population. Aimer un pays ou une personne, c’est l’accepter dans son intégralité, avec ses bons et ses mauvais côtés. En ce sens, mon livre est une déclaration d’amour pour la Mongolie, à l’étude de laquelle je consacre tout mon temps libre depuis dix ans… Sous les yourtes de Mongolie chante d’ailleurs les louanges du peuple mongol, qui se démarque de bien d’autres par son indépendance, son autonomie, sa faculté d’adaptation aux changements économiques, sociaux et politiques.
Quant à la steppe, à son ciel immensément bleu, à l’horizon sans fin, aux pistes improbables sur lesquelles on peut cheminer des jours sans croiser quiconque, aux campements de yourtes isolés, à l’accueil chaleureux et au mode de vie farouche des éleveurs nomades, le voyageur à pied, qui a le goût de l’effort et de la rencontre, ne peut que s’en éprendre.
Mais le tableau est à nuancer : les fléaux qui touchent la ville (pauvreté, alcoolisme…) frappent aussi les campagnes. Pour tout dire, j’apprécie autant de séjourner dans la steppe qu’en ville, l’essentiel étant d’y garder un état d’esprit propice à la rencontre et à l’initiation.
Vous avez rencontré les habitants des steppes. Comment vous ont-ils accueilli ? « Reviens ! », me suis-je souvent entendu dire, ému, en quittant une yourte sous laquelle j’avais passé la nuit. N’oublions pas que la Mongolie, trois fois vaste comme la France, n’héberge que trois millions d’habitants, très dispersés. Dans leur esprit, une rencontre a plus de sens que chez nous. De plus, il s’agit d’une civilisation de l’oralité, où l’on aime plus que tout échanger, converser, se rappeler, raconter et transmettre lors de veillées autour du poêle. Ce qui est vécu un jour est raconté une multitude de fois par la suite. Enfin, les Mongols sont passionnément curieux : des dizaines de journaux sont imprimés en Mongolie. Les Mongols recherchent l’information, l’échange oral ; ils sont ouverts vers l’extérieur et avides de savoir. L’arrivée d’un étranger n’est pas seulement vécu comme une distraction mais comme un moyen de s’informer. Le milieu ne permet aucune mesquinerie entre les gens. Quand on héberge une personne, c’est notamment parce qu’à l’avenir elle pourra vous héberger, vous sauver. J’ai pris conscience de cette nécessité face au climat impitoyable dès mon premier voyage. Alors que je subissais une tempête de neige en pleine nuit, la tente a commencé à plier, avant de se déchirer. Il a fallu lever le camp et marcher des heures avant de voir une yourte où j’ai été recueilli et réchauffé. Durant les six autres mois du voyage, j’ai dormi à la belle étoile ou dans les campements de yourtes, ressentant ainsi au plus profond de moi la rudesse de la steppe et la générosité du peuple.
Vous dites dans votre livre, quand les Mongols font la fête, le reste de l’Asie se barricade ». À quoi ressemblent leurs fêtes et leurs jeux ?
En reprenant cette citation d’un auteur anglais, qui rapporte un dicton chinois, je veux non seulement souligner le goût des Mongols pour la fête mais aussi la méfiance ancestrale que développent les Chinois envers leurs voisins du Nord.
L’hiver, de petits naadam sont organisés mais à moins grande échelle. C’est plutôt la période pendant laquelle la vie sous la yourte est intense, rythmée notamment par des fêtes familiales comme le tsagaan sar, le nouvel an lunaire, qui voit tous les habitants visiter leurs amis et voisins.
L’été, j’ai assisté à des rassemblements communautaires qui voient la population nomade affluer vers les rares villages de la steppe pour quelques jours de fête. C’est le cas lors du Naadam, la fête nationale, les 12 et 13 juillet. Dans la modeste enceinte en bois du stade communal ont lieu des tournois de lutte et d’archerie ainsi que des courses équestres. Mais le plus important et le plus émouvant, c’est la réunion et la communion d’une population qui vit dispersée, isolée et se retrouve pour plusieurs jours de fêtes…
« Les Mongols adhèrent à la modernité ». Les jeunes nomades sont de plus en plus attirés par les grandes villes. Que pensez-vous de leur attrait pour les zones ultra-urbaines et de leur sédentarisation qui en découle ? La Mongolie peut évoluer tout en accordant une place centrale à ses éleveurs, en préservant ses traditions et son identité. Mais on peut s’inquiéter ces dernières années de voir le développement économique impliquer le sacrifice du droit fondamental de l’être humain de vivre tel qu’il le souhaite et non tel que son voisin l’entend. Or la société consumériste et ses soi-disant bienfaits sont prônés avec une telle vigueur qu’ils attirent naturellement l’attention des plus jeunes.
On peut informer mais pas critiquer ceux qui ont envie de découvrir la vie urbaine. Ce qui est critiquable, c’est la propagande mensongère qui est faite du mode de vie urbain. Les gens sont parfois plus heureux, ou moins malheureux, à la campagne. Mais prenons garde ! L’avenir du nomadisme n’est pas à bâtir en isolant les nomades. Il faut aux Mongols trouver le juste équilibre entre les communautés sédentaires et les communautés nomades. N’oublions pas non plus qu’un citadin qui écoute du hip hop a autant le droit de revendiquer sa mongolité qu’un éleveur nomade.
La « vraie Mongolie », ce n’est pas que la steppe et ses nomades, dont le mode de vie a d’ailleurs connu plusieurs changements majeurs en un siècle et reste en constante évolution.
Mon troisième voyage en Mongolie m’a amené à parcourir 2 300 km à pied le long des frontières russe et chinoise. En arpentant les régions les plus isolées de Mongolie, je pensais rencontrer des habitants vivant paisiblement, comme leurs ancêtres… Ce fut une découverte de m’entendre dire que l’isolement leur pesait. L’éloignement des marchés leur empêche en effet de vendre leur production (lait, viande, laine, peaux…). En clair, si le sédentaire a toujours besoin du nomade dans la steppe, ce dernier a également besoin du sédentaire sans qui il vit difficilement. Il lui faut de l’argent liquide, issu de la vente de la laine ou des peaux pour acheter les produits de première nécessité (farine, sel, thé, sucre, tabac…). Même avec une excellente connaissance du troupeau et du terroir, l’éleveur éloigné des villes a moins de chances de s’en tirer qu’un éleveur qui a un réseau social développé et habite proche d’un carrefour commercial.
Vous êtes allé quatre fois en Mongolie. Avez-vous prévu d’y faire un cinquième voyage ? Qui s’est rendu en Mongolie, qui a goûté à la splendeur de ses steppes rêve d’y retourner. C’est mon cas même si j’ai déjà parcouru 6 000 kilomètres à pied dans ce pays. « Mieux vaut user son tapis de selle que son oreiller », disent d’ailleurs les Mongols. J’y retourne donc trois mois durant l’été 2009, avec la même démarche : à pied, sac au dos, modestement, sans assistance ni guide ni sponsor, sans moyen d’orientation et de communication hormis la boussole et les courriers postés des hameaux. Je ne veux pas de téléphone, qui m’empêcherait de me plonger dans l’hébétude et l’isolement qu’implique la steppe ; je ne veux pas non plus de GPS, qui est inutile et ferait de ma plongée dans l’immensité un parcours plutôt qu’une errance.
Pour ce nouveau voyage, j’aurai avec moi un compagnon d’exception, Laurent Barroo, mon ami d’enfance, avec qui j’ai déjà effectué deux expéditions à pied de six mois en Mongolie. Le but de cette cinquième immersion dans la steppe est de remettre en question nos connaissances sur le pays, de nous amener à douter de choses qui nous sont devenues banales mais qui ne le sont pas. L’état d’esprit du voyageur à pied est si différent de celui du sédentaire que l’expérimenter une nouvelle fois sera l’expérience idéale pour redécouvrir la Mongolie, vivre l’instant présent et, surtout, s’émerveiller.
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Marc Alaux a accompli quatre voyages à pied en Mongolie, où il a passé un an et demi et parcouru 6 000 kilomètres. Il a traversé les prairies centrales et orientales du pays, mais aussi ses déserts méridionaux et ses confins montagneux et boisés. Désireux de partager le mode de vie des Fils de la steppe, il s'est initié à la langue mongole, a lié des amitiés, vécu sous la yourte des éleveurs nomades, pris part aux tâches pastorales, aux fêtes et aux migrations saisonnières. Il a aussi séjourné à Oulan-Bator, la capitale, et dans les villages isolés, afin de saisir toutes les nuances d'une société au riche patrimoine spirituel. "Sous les yourtes de Mongolie. Avec les Fils de la steppe" de Marc Alaux, éditions Transboréal, 2007, 366 pages.