Interview de Philippe Sauve
Philippe Sauve, membre de la Société des Explorateurs Français, a déjà fait un tour du monde en solitaire, à pied et en canoë, exploré l'Amazonie, traversé la Sibérie. Il est l'auteur du livre Siberia dans lequel il raconte sa traversée de la Sibérie en solitaire.
(Avril 2008)
A l'instar des grands explorateurs d'autrefois, Philippe Sauve a traversé la Sibérie sans assistance et sans lien avec le reste du monde. Traverser la Sibérie à bord d'un canoë en toile, en empruntant la Lena sur 3 800 kilomètres : tel est le défi qu'a relevé Philippe Sauve. Seul pendant cinq mois sur son improbable embarcation, il a vécu au milieu de la nature majestueuse et hostile de ces régions reculées, secrètes, inhospitalières.
En Sibérie, pendant que je pagayais, le logo du dernier véhicule polluant était remplacé par les arbres qui défilaient au sommet des berges. Pourquoi avez-vous eu envie d’entreprendre un tel voyage ? Nous entendons dire que nous sommes des consommateurs au pouvoir d’achat affaibli. Cette approche de l’individu, purement occidentale, me révolte et me pousse à rompre les liens de mon pays et à m’engager dans de folles aventures. Car je ne suis pas un consommateur, mais un individu libre. Et je n’aspire pas au « pouvoir » d’acheter de nouveaux produits, et ainsi de dominer une propriété, j’aspire aux pouvoirs de l’esprit et du corps. Traverser la Sibérie en canoë était un moyen d’échapper pendant quelques mois aux tentatives de la société française de me conformer à ses règles de la consommation et de développer mon potentiel d’individu. « Ne te laisse pas anesthésier par la surabondance ! » nous dit la Bible.
Dans votre livre Siberia, le mot nature est écrit avec un « N » majuscule. Quel rôle tient la « Nature » dans les voyages que vous entreprenez ? Une fois libéré des contraintes citadines et des symboles publicitaires, nombreux, qui nous assaillent, je m’en vais traverser des régions du Monde où la Nature peut encore exercer sur l’individu ses bienfaits. En Sibérie, pendant que je pagayais, le logo du dernier véhicule polluant était remplacé par les arbres qui défilaient au sommet des berges. Et ce défilement ne me procurer pas une envie d’acheter, mais de continuer à contempler. Les symboles de la Nature sont les nouveaux repères du voyageur. En les observant bien, on les trouve si beaux qu’on les associe au divin. Nature mérite donc bien son « n » majuscule.
La mort est également très présente dans votre livre. En effet, vous dîtes que « la mort dans le voyage, pour un individu passionné qui ne vit que dans l’idée de partir explorer le monde, est une belle fin à l’image du comédien qui fléchit sur les planches, telle une consécration. » Mais, à côté de ça, vous écrivez : « Dans mes cauchemars, j’ai la terrible vision d’être un homme ailé qui apercevrait son cadavre posé sur les berges d’un fleuve, en train d’être dévoré par un ours". »
C'est assez paradoxal. Comment avez-vous surmonté vos angoisses ? J’ai bâti l’introduction du livre « Siberia » avant de partir en voyage, autour de la peur. Car c’est le premier obstacle qui se dresse au-devant du voyageur qui entreprend de repartir. Un obstacle qui se bâtit surtout à cause de l’appréhension des autres. C’était donc un moyen de montrer la façon que j’avais de mettre de côté, une à une, les raisons qui nous poussent à ne pas tenter l’aventure. On y voit que la mort a de multiples facettes. Face à l’inconnu de la grande Sibérie, je me suis souvent senti désarmé, apeuré, et parfois même terrorisé. Le simple son anodin du vent qui passe à travers un fourré se transformait parfois en menace terrible. La paranoïa est une ennemie redoutable. Mes angoisses disparaissaient lorsque je redevenais lucide.
Plus loin, vous dîtes « le voyage est une alternance de mort et de renaissance. » Pouvez-vous commenter cette phrase ? Paranoïa – lucidité, joie – peine, chaleur – froid… Il y avait dans les sensations physiques et psychiques des morts et des renaissances, des passages constants vers de nouveaux états. Mais ce fait est établi aussi chez le citadin. Le voyage offre seulement une perception affinée de ces phénomènes. J’associe aussi cette alternance au rythme de la Nature. Lorsque l’on vit trois jours de tempête, on a l’impression de renaître au quatrième jour, quand la Nature s’apaise et transforme le fleuve en paysage serein.
Ce voyage a t-il été un travail de rétrospection, qui vous a fait prendre conscience de beaucoup de choses ? Derrière mes pensées et en me rendant en Sibérie, j’avais l’espoir de voir concrètement certaines magies : trouver une porte secrète donnant sur des jardins divins, rencontrer des êtres surnaturels, surprendre un objet non identifié survolant la taïga, me transporter vers un autre monde. Ma position privilégiée au cœur de la Nature intacte et lointaine, pendant de si longs mois, aurait pu me permettre de telles révélations. Mais je n’ai rien vu… Si ce n’est la dureté de la pierre, la monotonie de la taïga ou la beauté du ciel. J’ai donc cessé assez vite cette recherche extérieur, pour mon consacrer à mon intérieur. Chaque jour, durant le dur labeur de pagayer, je sondais mon âme et y découvrais l’ampleur de son univers.
S’il vous était donné de revivre cette expérience, le referiez-vous sans hésiter ?Non. Je ne pourrais pas traverser une seconde fois la Sibérie en solitaire, en canoë, sur le fleuve Lena. Car à force de sonder mon âme, j'ai flirté avec des sentiments négatifs qui me poursuivent encore aujourd'hui. Et j'ai l'impression que si je retournais à certains endroits du fleuve, je serais à la source de la création de ces sentiments. Cela pourrait être une thérapie, mais je préfère envisager un voyage dans une autre contrée. Ainsi, je pars au début du mois de mai au pays des sioux. Je sais que je ne dois pas attendre de ce peuple, anéanti par les Blancs, le remède à mes maux de citadin ou un moyen de retrouver le calme dans mon esprit après la Sibérie, je pars donc cette fois sans but.
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A l'instar des grands explorateurs d'autrefois, Philippe Sauve a traversé la Sibérie sans assistance et sans lien avec le reste du monde. Traverser la Sibérie à bord d'un canoë en toile, en empruntant la Lena sur 3 800 kilomètres : tel est le défi qu'a relevé Philippe Sauve. Seul pendant cinq mois sur son improbable embarcation, il a vécu au milieu de la nature majestueuse et hostile de ces régions reculées, secrètes, inhospitalières. Du lac Baïkal à l'océan Arctique, le fleuve immense gonfle jusqu'à atteindre 14 kilomètres de large ! Equipé d'un matériel rudimentaire, Philippe Sauve affronte le vent glacial qui soulève des vagues de deux mètres de haut, franchit le majestueux plateau de Verkhoïansk, traverse des paysages déserts à la beauté saisissante.
"Sibéria" de Philippe Sauve, éditions Presses de la Renaissance, 2006, 338 pages.