Interview de Franck Pavloff
Franck Pavloff revient, dans son nouveau livre, Pondichéry-Goa, sur son voyage à travers l'Inde du sud. D'une ville à l'autre, l'auteur tente de déceler ce qu'il reste des influences occidentales en Inde.
Avec un regard personnel et sensible, les pages de Pondichéry-Goa transportent le lecteur sur les traces de l'écrivain voyageur partageant rencontres, découvertes et impressions.
(Avril 2010)
Déjà auteur de nombreux livres, Franck Pavloff nous offre ici son premier récit de voyage après deux mois passés entre Pondichéry et Goa en Inde, avec pour idée de se détacher des circuits classiques et d'aller vers une nouvelle approche du pays. Chargé de mission par le Ministère de l'éducation et spécialiste du droit des enfants, Franck Pavloff est un voyageur aguerri qui a déjà sillonné les routes d'Afrique et d'Asie.
Comment est né votre récit de voyage ? Êtes-vous parti pour écrire ou bien l’idée d’un livre est venue en rentrant en France ?
Je ne partais pas forcément dans l’idée de faire un livre mais avant tout pour comprendre l’Inde et la voir son un angle différent.
J'avais envie de me rendre compte de l’influence occidentale sur le pays, mais pas à travers les grandes capitales. L’Inde est tellement vaste, je me demandais si elle était capable de faire table rase de son passé colonial ou bien s'il y avait des restes de cette occupation.
Je suis retourné spécialement dans deux villes car je savais qu’au XVIe et au XVIIe siècle il y avait eu les Français à Pondichéry et les Portugais à Goa. Je prenais des notes comme à chaque fois lors de mes voyages, mais des notes rapides, des idées qui me traversaient l’esprit.
Puis, comme cette expérience m’a semblé très riche, je voulais en laisser des traces. Je suis écrivain donc cela s’est fait naturellement par la plume.
Je voulais que mon écriture laisse la place à l’esprit de voyager comme c’est le cas lorsque l’on se déplace, avec des grandes phrases, très longues, sans ponctuation, avec quelques virgules quand même. Une écriture en spirale, à l'image de l'Inde et en opposition à l'occident rectiligne.
Pourquoi l’Inde ? Est-ce une passion ?
L’Inde est une de mes passions. Avant, elle me faisait peur de par son immensité.
Il est dur de savoir par où l’aborder.
Puis j’ai été invité en Inde pour la traduction de certains de mes livres et j’ai mieux découvert le pays. La spiritualité m’inquiétait et au contraire je me suis rendu compte que cela oblige à une certaine modestie du voyage, à se laisser porter et absorber par le pays.
Combien de temps après le voyage avez-vous écrit ce livre ?
J’ai écrit tout de suite après mon retour car j’étais pétri d’ images, d’odeurs, de couleurs et moi qui écris en général un roman en plus d’un an, là après deux mois d’écriture quotidienne, le livre s’est achevé. J’étais passionné par cette écriture qui coulait avec plaisir. Finalement j’ai pris deux mois pour faire le voyage et deux mois pour écrire son récit.
Au cours de ce voyage avez-vous été surpris ?
On est au-delà de nos attentes. Ma question était de savoir si mon regard était capable d’embrasser le passé, le présent et peut-être l’avenir. Et là je reconnais que j’ai été surpris parce que si on se laisse porter par le voyage, que j’aime appréhender sans a prioris, on rencontre quelque chose derrière les stigmates.
Par exemple, à Goa il y a une bibliothèque nationale de la ville (pas de Goa mais de Panaji car Goa est une région). Le hall de cette bibliothèque était bleuté fait de céramiques des azulejos portugais datant du XVIIe siècle.
En même temps que je me replongeais dans le passé que m’offrait cette contemplation, il passait devant moi des étudiants et étudiantes avec leurs ordinateurs en bandoulière, qui se fichaient pas mal du XVIIe siècle portugais.
En quelques minutes, on avait ce va et vient, et je plongeais dans ces 4/5 siècles en arrière sans nostalgie pour le passé, c’est ça qui me plaît dans le voyage. Dans un même regard, on retrouve l’identité d’un pays.
L’Inde ce n’est pas seulement les hindous avec tout ce qu’on connait, notamment les magnifiques temples. L’Inde a été musulmane pendant sept siècles, donc quand les portugais sont arrivés ce ne sont pas des Hindous qu’ils ont rencontré mais des maures, des musulmans.
C’est aussi ça l’Inde, surtout l’Inde du sud. C’est cette facilité de faire cohabiter, c’est encore le cas aujourd’hui et cela représente une force pour un pays.
Dans le nord, c’est différent car les peuples s’affrontent davantage. L’identité nationale voudrait être purement Indoue alors ce sont des partitions avec le Pakistan, avec le Cachemire par exemple qui se créent.
Ce livre est très visuel et très personnel dans son écriture. Il fait travailler l’imaginaire. Que cherchez-vous à transmettre à vos lecteurs ?
Ce sont des émotions et une idée du voyage que je transmets. Quand vous voyagez, allez comme ça dans un hall de bibliothèque, laissez-vous porter derrière une église un peu à l’abandon comme je l’ai fait à Pondichéry, vous trouverez peut-être des joueurs de pétanque. Une pétanque bien française avec les mêmes gestes que chez nous et ça, ça s’aperçoit par hasard, au détour d’un chemin. Je croyais que l’identité culturelle française était faite de classiques comme Victor Hugo ou Balzac et pas d’une boule de pétanque.
J’offre une conception du voyage, une façon de voir les choses, si on va visiter uniquement le Taj Mahal, les grands temples, bien sûr on plonge dans l’Inde profonde mais seulement une partie.
Au-delà de ce que l’on voit, l’Inde c’est du croisement, on va contempler une statut du christ (il y a un certain nombre de chrétiens dans le sud) et plus loin on se rend compte que c’est avec la même peinture que le dieu éléphant fut peint.
Tout coule de l’un à l’autre, on voyage non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. Quel est, selon vous, l’objectif d’un récit de voyage ?
Si vous suivez à la lettre mon bouquin, il y a des chances que vous vous perdiez. Je dis « allez dans tel quartier ou dans telle pâtisserie » mais ce n’est pas très précis. La difficulté c’est justement que les mots sont incertains mais font rêver.
Il y a des tonnes de vidéos sur les voyages. Avant de partir on recherche sur le net et on voit tout, il n’y a plus de mystère, tandis que l’écriture garde une distance vis-à-vis de l’imaginaire.
Le voyage est un retour sur soi. C’est pour ça que dans mon livre je parle aussi un peu de moi. C’est grâce à mon passé personnel que je comprends ceci ou cela.
Je ne m’empêche pas d’offrir un point de vue très intime de mon voyage car j’aime moi-même entendre les voyageurs revenir sur leurs émotions. Si le voyage ne change pas les gens, c’est que quelque chose manque.
Partir c’est aussi faire un voyage intérieur.
Ce récit est-il différent de ce que vous avez écrit jusque là ? Oui car l’écriture de voyage est quelque chose à part. C’est différent d’un roman où il y a une structure.
Quant on a un personnage, il faut le tenir d’un bout à l’autre, il ne faut pas le laisser en route. Dans le voyage, il y a des gens de passage. J’ai par exemple rencontré un professeur, je l’ai vu une fois, le temps d’une amitié d’un soir.
Dans un roman, cette situation passerait mal, il faudrait que je retrouve ce personnage ou que j’explique pourquoi il intervient. Ici, c’est beaucoup plus large, je me permets plus de choses vis-à-vis de l’écriture.
Vous étiez seul pour ce parcours. Est-ce votre conception du voyage ?
Oui, en général je voyage seul. J’ai passé plus de 15 ans en Afrique et en Asie, je suis professionnel du droit des enfants donc j’ai des associations d’aide à l’enfance en détresse dans les pays émergeants.
J’y vais pour des raisons professionnelles mais ça m’a aussi habitué à aimer les différences ou bien les voyages dans les pays un peu difficiles comme en Inde.
Bien sûr je voyage parfois avec des proches mais quand je veux vraiment me plonger dans la culture d’un pays, j’aime être libre, ne pas avoir de contraintes, mes décisions se prennent au gré de mes rencontres.
Je me prépare quand même à l’avance, je ne savais pas par exemple qu’il y avait des jésuites à Goa, cette inquisition à l’autre bout du monde semble incroyable.
Goa, maintenant c’est tout la jeunesse du monde qui se réunit comme on va à Ibiza pour s’éclater au soleil. Ce qui apporte aussi des richesses.
Maintenant on ne fait plus le va et vient des tissus de soie, on fait le va et vient de la jeunesse. Pour connaître un peu certaines caractéristiques comme celle là d’une ville, je trouve ça bien de se documenter un minimum avant.
Allez-vous retourner en Inde ? Quels sont vos futurs projets de voyage ? Y a-t-il un autre roman à la clé ?
Oui j’ai déjà prévu de repartir en Inde, toujours dans le Sud. J’aime cette partie du pays où les femmes sont plus libres, les pressions ethniques moins fortes.
L’Inde du nord est très riche mais j’aime pour le moment découvrir le Sud.
Concernant le récit de voyage, je ne sais pas. Mon dernier roman se déroulait en Equateur car j’aime également l’Amérique du sud. J’aime les pays avec de contrastes, je ne suis pas un homme du désert. J’aime me frotter aux différences, à l’effervescence d’un pays.
L’Inde bouillonne. Les romans se feront au gré de mes voyages. J’ai très envie d’aller en Australie, le seul pays où je n’ai jamais mis les pieds.
Qu’avez-vous tiré de cette expérience ? Ce voyage vous a-t-il transformé ?
Chaque voyage me transforme, celui-ci était très fort, c’est vrai.
L’Inde a quelque chose de particulier. On est tellement linéaire en Occident, dans l’instantané. On zappe, on clique, on ne fait que des choses comme ça.
Voir un temple Indou c’est prendre une claque monumentale car le temps s’est réellement arrêté quatre siècles plus tôt. Là-bas les gens ont des rituels qui durent et c’est dans le même temps un pays qui a énormément d’avenir.
Pensez-vous que ce côté très spirituel qu’il y a en Inde va être préservé ? Va-t-il perdurer ou le pays va-t-il s’occidentaliser de plus en plus ?
Les grandes villes sont les plus occidentalisées avec un côté fébrile, beaucoup de fortunes se forment ainsi que d’incroyables inégalités.
Dès qu’on sort des villes on voit, selon moi, le plus intéressant. Il y a tout un monde qui a les pieds dans la terre de l’Inde traditionnelle, de l’Inde Indou, musulmane, cette partition entre les villes et les campagnes est extraordinaire.
J’ai espoir pour l’Inde même si des villes comme Bombay connaissent une violence religieuse très grave.
Un petit mot, un conseil pour l'e-voyageur ?
Pour comprendre l’Inde, il faut l’aborder avec humilité et par petits sauts entre différents lieux. Pondichéry/Goa est un parcours que je recommande, je trouve que c’est bien de faire ce saut entre deux villes d’Inde du sud, l’une à l’est, l’autre à l’ouest. C’est le maximum qu’il est possible de faire en 2/3 semaines.
Il ne faut pas dire « je vais aller en Inde, je vais a Bombay et à New Delhi » je trouve que c’est trop grand. De la même façon, si on veut comprendre l’Europe on s’arrête une semaine au sud, une semaine au nord, on comprend un peu.
Là c’est déjà beaucoup car il y a tellement de choses à voir…Les influences sont multiples, venant des siècles musulmans, des français, des chrétiens, des occidentaux en général, sans parler des rapports avec la Chine, tout ceci ouvre de nombreuses portes uniquement à travers l’Inde.
Dans mon roman, je livre au lecteur ce que j’ai vu de l’extérieur et ce à quoi cela m’a ramené. Vous, si vous allez à Goa, si vous êtes d’une autre génération que la mienne, vous n’allez pas voir la même chose que moi. Chacun d’entre nous, avec notre propre sensibilité renvoyons une vision différente de Goa comme de Pondichéry.
Propos recueillis par Valérie Gautier
Publié le 19/04/2010
Crédit photos : © Franck Pavloff