Interview de la famille Chavance
Anne-Marie et Daniel Chavance se sont rencontrés au Canada. Lui était à moto pour réaliser un tour du monde. Elle, effectuait le tour des Etats-Unis au volant de son imposante Chevrolet. Ils se sont mariés et ont eu des enfants. C’est alors tous ensemble qu’ils partiront désormais et à bord du Cabougnot, camping-car artisanal, certes un peu étroit mais bien valeureux et capable d’avaler un bon nombre de kilomètres.
(Avril 2010)
Par une froide matinée de mars, nous arrivons devant la maison de la famille Chavance, à Nogent/Marne, dans le Val de Marne (94). Le premier à nous accueillir, c’est ce fameux Cabougnot, ce drôle de camping-car issu de l’imagination de Daniel et auréolé d’une capucine, module qui, une fois déplié, permet l’alitement des trois enfants de la fratrie voyageuse. Car la famille a testé le voyage et y a pris goût.
En 2002/2003 tout d’abord, en Nouvelle-Zélande mais sans le Cabougnot qui n’existait pas encore. L’expérience fut tellement agréable qu’en 2006/2007, ils partent pour un an au volant du Cabougnot qui a entretemps été construit. Direction l’Egypte et ses somptueux temples d’Abou Simbel. Finalement, le curieux camion transportera tout ce petit monde pendant deux ans. Après un bref retour en France, le véhicule embarque sur un cargo pour rejoindre l’Amérique latine. Les Chavance s’aventurent alors en Argentine et au Chili avant de réintégrer leur douce France et remettre les pieds dans les charentaises.
À l’intérieur de la maison, c’est Anne-Marie qui nous reçoit. On s’installe sur le canapé et elle commence à nous raconter ses 65 000 kilomètres d’escapade et ses 600 bivouacs aux côtés de son mari, de ses trois enfants et de cet attachant Cabougnot.
Comment se prépare une telle aventure ? Racontez-nous comment cette grande expédition de deux ans s’est mise en place ?
Nous sommes une famille de cinq et chacun avait une activité. Daniel est ingénieur à la SNCF. Moi, je suis correctrice et travaille en indépendante. Pour partir, Daniel a pris un congé parental d’éducation et j’ai arrêté de travailler. Les enfants avaient 7, 9 et 11 ans. Nous les avons inscrits au CNED. Pour voyager, il n’y a pas de mauvaises années mais certaines sont plus favorables que d’autres. Par rapport au calendrier scolaire, 2007 était la bonne. Au début, on ne savait pas que l’on partait pour deux ans. On partait pour une seule année et on a tout préparé en conséquence.
La préparation est ce qu’il y a de plus éreintant dans un voyage, et un an pour le préparer, c’est un peu court. Il a fallu acheter le camion. Daniel voulait absolument ce modèle-là (NDLR : quatre roues motrices de marque Iveco). Il a imaginé cette cellule qui se déplie et l’a fabriquée ici dans le salon ! Ensuite il a fallu trouver des locataires pour la maison. Et évidemment faire quantité de choses indispensables, quand on est parti, on était sur les rotules.
Quant à l’itinéraire, Daniel voulait aller jusqu’au Cap, en Afrique du Sud. Mais moi, ça me paraissait compliqué. J’ai souhaité qu’on fasse un parcours de Paris à Abou Simbel. Ce fut un bon choix, nous avons suivi les sites antiques. Il y a pire comme fil rouge.
C’était un rêve l’Argentine.
En fait, on a prolongé d’une année car, en route, on a sympathisé avec une famille anglaise rencontrée à Athènes. Elle était partie pour trois ans mais en chemin, alors qu’elle allait prendre un cargo pour l’Amérique du Sud, elle est tombée amoureuse d’un village en Haute-Loire. Elle a décidé de s’y installer. Nous, ce cargo nous tentait. Les enfants étaient très enthousiastes et on a donc décidé de continuer notre voyage et de le prolonger d’une année supplémentaire. Les enfants voulaient même prolonger d’une troisième année lorsque nous étions au Chili. Mais, le véhicule devenait trop petit, Daniel avait des propositions et Pierre entrait en troisième. Nous avons décidé de rentrer et je crois que c’est bien comme ça.
Quelle est votre conception du voyage et comment percevez-vous le tourisme de masse ?
Le voyage fait partie de notre vie. Le voyage, c'est quitter son environnement habituel et pas forcément faire des choses extraordinaires. Ce qui m'intéresse plus, c'est d'avoir un quotidien qui se déplace. Nous ne nous situons pas dans la lignée des grands voyageurs comme Bouvier¹, Ella Maillart². Cette femme, j'ai eu le bonheur de la rencontrer et je la trouve extraordinaire. J'admire aussi Magellan, dont je lis en ce moment la biographie écrite par Stefan Zweig³. Cet homme audacieux, courageux - le premier à avoir fait le tour du monde avec son équipage -est incroyable. Ils partaient au casse-pipe. Ils étaient 265 et sont arrivés à 18 marins. Nous, nous sommes dans un registre totalement différent. Nous aimons vivre en nomades.
Concernant le tourisme de masse, nous n'aimons pas pour nous-mêmes cette façon de voyager. Mais je ne me permettrais pas de juger la façon dont les gens voyagent et je comprends que certains veuillent prendre le soleil. Chacun voyage comme il veut. Ce que l'on peut juste contester, c'est que le tourisme de masse est très polluant. De plus, il peut être choquant pour les populations autochtones. Nous, on faisait un peu attention. Les tenues hyper courtes et les maillots de bain peuvent sans doute choquer dans les régions musulmanes. Nous avons passé un mois en Espagne, ce qu'ils ont fait de la côte est tragique. J'imagine que plus personne n'a de plaisir à aller là-bas et que c'est devenu absolument contre-productif tellement c'est moche. Il y a du béton partout ; la côte est défigurée par une telle épaisseur d'immeubles ! Il n'y a vraiment plus d'intérêt.
Que retenez-vous de votre voyage familial de deux ans ? Y-a-t-il eu des moments difficiles et avez-vous une anecdote amusante à raconter ?
Tout s’est très bien passé. Il n’y a eu aucune catastrophe ni aucun souci. Il y a juste une fois où l’on a perdu des vis de direction. Nous étions à deux doigts de plonger dans la Méditerranée mais finalement, rien de grave est arrivé et cela nous a permis de rencontrer un garagiste extraordinaire. A notre départ, la pharmacie de bord était très garnie, à l’arrivée elle l’était tout autant. Cela dit, nous faisions attention à nous.
Pour les souvenirs et ce qui reste d’un tel voyage, évidemment, il y en a des millions. Un revient régulièrement cependant. En Argentine, nous avions raté les baleines à l’aller. On a su qu’elles revenaient à Valdès juste avant qu’on s’en aille. Nous ne pouvions pas rater ça. Nous avons fait 5 000 km pour les voir et avons passé quatre jours et quatre nuits, et c’est important de dire quatre nuits : le chant des baleines la nuit, c’est extraordinaire. Ça reste l’un de nos meilleurs souvenirs.
Enfin, pour l'anecdote, on s’est payé le luxe de devenir végétarien, en Argentine, là où l’on mange la meilleure viande du monde ! Ça nous faisait rire. On est cinq, et sur les cinq, quatre sont revenus végétariens. Seul Pierre l’aîné est resté carnivore.
¹ Nicolas Bouvier est un voyageur suisse né en 1929 et mort en 1998 qui a écrit de nombreux ouvrages.
² Ella Maillart est également une grande voyageuse suisse contemporaine de Nicolas Bouvier.
³ Stefan Zweig, Magellan, Grasset, "Les cahiers rouges", Paris, 2003.
J’imagine que d’un point de vue humain et relationnel, cela a dû être très enrichissant. Que pouvez-vous me dire sur les relations familiales et sur vos rencontres lors de votre trajet ?
Dans un tel voyage, la famille marche ensemble et dans le même sens et c'est ce qui compte. Bien sûr, au début, la promiscuité n'est pas facile. Ça se chamaille comme dans toute fratrie, c'est évident. Mais ça n'a pas été plus explosif que ça ne l'aurait été ici. Les liens familiaux se resserrent et les moments d'affinités se multiplient.
Le soir par exemple, où l'on passe des heures à lire. Pour des parents, c'est extrêmement satisfaisant de voir toute sa marmaille qui lit dans le calme. Ce sont de belles images que l'on emporte. Nous nous connaissons mieux, nous comprenons mieux comment chacun fonctionne. On a calculé : vivre deux ans comme ça en voyage, c'est comme si nous avions vécu cinq ans et demi d'une vie normale. C'est une expérience unique et nous en avons vraiment conscience.
Dans un voyage itinérant, la majorité des rencontres reste éphémère. La première année, nous avons rencontré très peu de voyageurs. Nous avons davantage rencontré de locaux. Particulièrement en Turquie, où l'on s'est beaucoup plus sédentarisé. Nous sommes restés cinq semaines à Gorëme, nous avions prévu d'y rester 5 jours mais comme nous avons trouvé l'endroit agréable nous avons sans cesse différé notre départ. En quelques jours nous avions des relations de voisinage.
En Amérique du Sud, la deuxième année, on a eu beaucoup de contacts avec des voyageurs au contraire. Ce pays est un véritable entonnoir, tout le monde se retrouve nécessairement à Ushuaïa. C'était impossible de se rater. Beaucoup de familles françaises voyagent là-bas. Il y a aussi de nombreux retraités qui tournent en Amérique du Sud après avoir fait la traversée en cargo jusqu'à Buenos Aires. Ils partent pour six mois et reviennent en Europe et repartent ensuite retrouver leur véhicule. D'autres arrivent par Halifax au Canada et descendent jusqu'en Terre de Feu. En tout cas, la différence entre la première année vers l'Egypte et la seconde en Argentine était très frappante. Pendant le premier voyage, on a dû rencontrer deux familles alors que l'année suivante, c'était sans arrêt. À l’heure du bilan, après avoir parcouru une bonne partie du monde, la France est-elle finalement un beau pays ?
Extraordinaire. D’ailleurs, nous sommes restés deux mois en France entre le premier et le deuxième voyage. On a fait de grandes balades dans les Cévennes, autour de l’Auvergne. Puis nous avons passé un mois en Espagne. Nous avons beaucoup aimé Séville. Les Français ont une chance folle car la France est magnifique. L’Argentine et le Chili sont très spectaculaires mais, à part les capitales, les villes n’y sont pas extraordinaires. Au contraire, en France, partout, il y a de superbes villages et il n’y a rien à jeter ! On aimerait bien d’ailleurs faire un parcours à pied en France.
Justement, concernant vos projets et votre avenir, qu’en est-il ? On ne serait pas surpris qu’on ait une famille un peu
dispersée.
Daniel a repris son poste¹. De mon côté, j’ai des projets pour alimenter Kauri et je fais des corrections². Les enfants ont repris l’école, ça marche bien même s’ils trouvent ça parfois un peu long ! Le Cned est très bien fait et ils ont vraiment travaillé beaucoup avec nous. Ils ont une capacité de travail supérieure à celle qu’ils avaient avant de partir et sont tout à fait au niveau. Le Cabougnot, lui, déprime ! Il ne bouge plus mais on ne veut pas le vendre, ça, ce n’est pas possible. Ce n’est pas qu’un véhicule, c’est vraiment notre deuxième maison.
On aimerait bien refaire un voyage mais on ne repartira vraisemblablement pas avec le Cabougnot et les enfants, qui arrivent à un âge où il est plus difficile de voyager. Nous ne nous voyons pas faire le Cned alors qu’ils sont au lycée. Ce sera autre chose. Nous avons d’autres projets, pour plus tard, des idées, nous en avons plein, il n’y a pas de problèmes. La planète est immense, nous ne verrons jamais tout. Mais nous aimerions bien voir certains endroits qui nous font rêver. En Afrique³. J’aimerais bien aller en Mongolie aussi. Les endroits peu peuplés nous attirent particulièrement. Le bateau nous tente aussi. Mais on ne met pas le voyage au-dessus de tout, même si ça prend beaucoup de notre vie.
¹ Il est ingénieur à la SNCF.
² Anne-Marie a lancé sa propre maison d’édition qu’elle a nommé Kauri, qui est un arbre de Nouvelle-Zélande. Sans doute un reste de la toute première excursion familiale de 2002/2003… La collection compte déjà deux livres et bientôt un troisième. Le voyage du Cabougnot, ensemble de chroniques racontées par le Cabougnot lui-même et relatant les deux années à travers l’Europe et l’Amérique du sud fait déjà parti du catalogue.
³ Au départ, Daniel voulait partir au Cap mais Anne-Marie trouvait cela très loin et la traversée de l’Afrique pouvait se révéler difficile et périlleuse. Du coup, c’est l’Egypte qui a remplacé le Cap comme destination à atteindre lors du premier voyage de 2007/2008.
**Site de l'éditeur : **www.kauri-editions.com
Propos recueillis par Sophie Graffin
Publié le 08/04/2010
Crédit photos : © Chavance